Alfred A. est né le 30 Août 1875 à Cognac en Charente (France). Il y mourut en 1958 après une vie sans histoire autre que celle d'un honnête homme de son siècle. Ses "notes de guerre" ont été rédigées sur de petits carnets de route, au crayon de papier ou au stylo. Elles étaient complétées de dessins, de vues de ses installations, de croquis de ses camarades, de scènes de la vie quotidienne. Quelques pages se sont égarées au fil du temps, mais la retranscription qui suit a été entièrement re-écrites de sa main dans un carnet de format A5 ou légèrement supérieur. La copie en a été rigoureusement respectée, sans aucun commentaire personnel de ma part, respectant la ponctuation. Alfred, agé de 67 ans lorsqu'il entreprit cette retranscription la justifie dans l'introduction ci-dessous. Son écriture nette, régulière révèle son souci d'exactitude. En parallèle de ces notes, il avait commencé à réaliser un album de photographies de cette période, mais cette entreprise est restée inaboutie. On retrouvera en lien l'ensemble de ces prises de vues dont la plupart ont été effectuées en 1915 dans la forêt de Hesse. Alfred ramena de la région de Vauquois un sapin qu'il planta dans son jardin et qui a résisté jusqu'à ce jour.

                              

Alfred, âgé d'environ 40 ans, photo prise probablement à la veille de la guerre,

le second cliché a été pris lors d'un repas familial, vers 75 ans

 

  

 

 

 

 

Introduction

 

                                                                                                                   Mai 1942

 

Après une longue période d’hésitation je pense qu’il est utile à présent de mettre ces « Notes » sous les yeux de ma Famille.

A une époque où tout est précaire en pleine deuxième Guerre Mondiale, après surtout les constatations qui m’indignent clairement qu’on ne comprend pas les difficultés auxquelles j’ai eu à faire face et la somme de travail que j’ai fournie pour obtenir notre situation actuelle, je pense qu’il devient utile que ma famille sache ce que j’ai enduré pendant les quatre années de guerre 1914-1918.

  Certes la situation dont chacun profite déjà n’a pas besoin d’être expliquée: il n’y a qu’à constater ce qui existe à ce jour; mais ce à quoi on ne pense pas, c’est que pour en arriver là, j’ai peiné et j’ai souffert en silence et j’ai aussi risqué ma vie pendant ces quatre années de guerre! Je crois utile qu’on le sache car comme on s’habitue au bien-être, on s’habitue également à oublier comment ce bien-être est venu - c’est le but de ces notes. Je tiens aussi à ce que l’on sache, sans fausse modestie, que, au civil comme au militaire, j’ai laissé auprès des personnes étrangères à ma famille, que j’ai approchées, un souvenir dont les témoignages sont pour moi une satisfaction et un réconfort (voir les lettres reçues du Commandant Gaillot, avoué à La Rochelle)- depuis ma libération.

  Puisse ma famille s’en inspirer: je ne demande rien d’autre.

 


J’ai donc longtemps hésité à retranscrire les « Notes » qui vont suivre, écrites à la hâte sur mes Carnets de Guerre, dans la crainte de leur   voir attribuer une prétention qui certes est loin de ma pensée!

Pourquoi du reste chercherais-je à en modifier même le sens? N’ai-je pas tout simplement accompli mon devoir de Français et dois-je chercher à en tirer vanité en travestissant la vérité? Non.

Ce que j’ai fait est bien peu comparativement à ce que d’autres, plus jeunes ou moins heureux ont fait: mais si peu que cela puisse paraître j’ai la satisfaction de pouvoir dire que je l’ai fait de mon mieux et avec mon cœur de Français!.

Mon devoir était de ne rien tenter pour modifier ce que le destin me réservait: je n’ai rien fait qui puisse en changer le cours et malgré le chagrin de laisser ma Famille, avec la crainte secrète de ne plus la revoir, peut-être, j’ai suivi le chemin qui m’était tracé accomplissant mon Devoir, ni plus ni moins que mes camarades.

J’ai rempli des emplois divers: j’ai conseillé les uns, j’ai consolé les autres. J’ai aussi aidé certains moins favorisés que moi, j’ai essayé de rester humain dans cette tourmente de misère et de mort. J’ai été désigné pour des emplois bien différents, je les ai remplis de mon mieux et j’ai eu la satisfaction, après ces quatre années passées de retourner chez moi, laissant et emportant un bon souvenir des camarades avec lesquels je venais de vivre cette pénible période, reconnaissant pour les sympathies que mes chefs –le Commandant Gaillot en particulier– avaient bien voulu me témoigner.

Le cerveau las, fatigué bien souvent par des nuits sans sommeil ou des déplacements précipités éreintants, par des bombardements incessants, par canon et par avion, par les criailleries des camarades ou   les disputes mêmes, j’ai écrit ces « Notes » telles que je les ai vécues: ce n’est pas un Récit. C’est, au jour le jour, la notation de ce qui se passait ou de ce que je pensais, au moment où j’écrivais. Cela pourrait paraître monotone: cependant, en réfléchissant, j’espère qu’il se dégagera, dans la brièveté de ces « Notes »- une idée qui fera comprendre quelle confiance avait le soldat de 1914-18. Car malgré les déboires, les risques journaliers, les difficultés de toutes sortes qu’il lui fallut surmonter, l’armée resta confiante: confiante en ses chefs, confiante en elle-même, confiante aussi dans les Destinées de la France — et cela contribua à la Victoire…

 

Oui, la Victoire… pour que pareille catastrophe ne se reproduise pas… de longtemps!!

Et vingt-cinq ans plus tard la Guerre a recommencé, guerre bien différente certes… mais dont il est inopportun de parler (parce que beaucoup trop tôt).